La crise des subprimes, estimée à une centaine de milliards de dollars en août, aujourd’hui à plus de 4 000 milliards, a eu l’effet d’une onde de choc sur l’économie mondiale. Certes, nul n’est encore en mesure d’évaluer son impact sur l’économie réelle, certains prédisant, à l’instar des économistes de l’OCDE, qu’il sera négligeable, d’autres, plus pessimistes, à l’instar de Jacques Attali, brandissent déjà le traumatisme de la « Grande Dépression » des années 30, mais cette crise a eu le mérite de mettre en évidence le bouleversement de l’ordre géofinancier mondial.
L’émergence de l’Asie sur le plan industriel ne faisait déjà plus de doutes. En témoignent les déséquilibres colossaux des balances commerciales entre l’Asie et l’Occident. S’enrichissant patiemment de centaine de milliards de dollars laborieusement gagnés, l’Asie s’est élevée sans fracas au rang de puissance financière. L’accumulation par la banque de Chine de réserves de change, à hauteur de 1500 milliards de dollars, est un secret de polichinelle. Généralement, celles-ci servaient à acheter des emprunts d’Etat américains. Ce phénomène restait donc en soi une abstraction monétaire. Jusqu’au 19 décembre 2007. Le versement de 5 milliards de dollars par le fonds de l’Etat chinois, China Investment Corp, à Morgan Stanley a changé la donne. D’ailleurs, Morgan Stanley n’est pas le seul prestigieux établissement financier à avoir été secouru par des fonds asiatiques. Merrill Lynch et UBS l’ont été par des fonds singapouriens et Bear Stearns par des capitaux chinois.
La déconfiture du système financier a mis un terme à l’arrogance occidentale mais a aussi mis en lumière la fin de la domination financière occidentale. Les occidentaux, se gargarisant de l’efficacité et de la sophistication de leur système bancaire et financier, se permettaient de donner des leçons aux japonais dans les années 90 pour qu’ils assainissent leurs banques après l’éclatement de la bulle financière et boursière et dénonçaient l’opacité des comptes des établissements de crédit sud-coréens liés aux conglomérats industriels, les chaebols. Jusqu’à récemment, ils stigmatisaient la fragilité du système financier chinois, le même qui les sauve maintenant de la banqueroute.
En faisant éclater la bulle de la finance occidentale, la crise des subprimes a mis fin au complexe occidental de supériorité mais a réveillé la vieille peur du « péril jaune ». En effet, la partie monétaire où se décide la parité des deux principales devises internationales, le dollar et l’euro, se joue maintenant à Pékin. Le gouverneur de la Banque centrale de Chine peut, quand il le veut, sans que la BCE et la FED ne puissent rien y faire, faire chuter le dollar en évoquant une réduction de la part du billet vert dans ses réserves de change. Retour du « péril jaune »…