Jeudi dernier, le conglomérat Dubai World, moteur financier de l’émirat de Dubaï et sous le contrôle de celui-ci, a demandé un moratoire de six mois pour rembourser ses 59 milliards de dollars de dettes (soit près de 40 milliards d’euros), dont le plus gros correspond à des emprunts de sa branche immobilière Nakheel. La dette totale de la cité-Etat avoisine les 80 milliards de dollars (53 milliards d’euros), le tout pour une économie ne dépassant pas les 35 milliards d’USD et qui s’est probablement énormément contractée ces douze derniers mois.
Cela fait déjà plusieurs années que Dubaï est en fait une grande pyramide de Ponzi, un gigantesque « jeu de l’avion », à l’image de l’affaire Madoff. Ce petit pays, pratiquement totalement dénué de réserves naturelles, le pétrole ne contribuant que 5% à 6% du PNB, a réussi en moins de 20 ans à créer une énorme bulle immobilière, peut-être même la plus grande jamais créée n’importe où dans le monde, en utilisant une propagande agressive et sans précédent.
L’annonce de Dubai World, un jour où les marchés américains étaient fermés, a néanmoins pris les marchés européens et asiatiques par surprise et on a enregistré une forte à la baisse réaction jeudi, avant que la nouvelle soir progressivement digérée et que les marchés européens finissent à la hausse vendredi et que les marchés américains limitent largement les dégâts le même jour.
En réalité, la seule et unique chose qui est bizarre dans toute l’affaire est la surprise des marchés devant l’annonce de Dubai World. Tous les observateurs de Dubaï savent depuis longtemps déjà qu’il s’agit d’une bulle. Est-ce quelqu’un croyait sérieusement que la croissance économique du petit émirat, dépassant celle de la Chine, avait quelque chose de logique?
Les détails de la chaîne de Ponzi de Dubaï, poussée par la folie des grandeurs du Sheikh local, sont clairs: quelqu’un pense-t-il vraiment qu’il faut une suite d’îles artificielles en forme de palmier, construites à un prix exorbitant? Un hôtel avec 6500 chambres? Un building d’une hauteur de 800 mètres? Est-il logique que le centre commercial le plus grand du monde soit à Dubaï? Et quid du centre des affaires qui regroupe pas moins de 500 grattes-ciels (!!!)? Et de l’immeuble de 30 étages qui tourne tout doucement et fait un tour sur lui-même en une semaine? La demande pour le ski est-elle si importante dans un endroit où règne une température qui peut facilement dépasser les 45 degrés pour qu’on y construise une piste de ski artificielle de la taille d’une petite ville? Est-ce que quelqu’un s’est demandé combien tout cela coûtait-il?
Bref, il ne fallait pas être un génie pour comprendre que le mirage de Dubaï pouvait continuer tant que le crédit était facile mais que le jour où la roue allait tourner, il risquait de s’évanouir dans le désert aussi vite qu’il était venu.
Le marché immobilier local a été poussé à la hausse par une folle spéculation. Il suffisait d’un dépôt de 10% pour acheter un bien immobilier et même celui-ci était prêté par les banques. Dans de nombreux cas, des gens ont acheté sans argent des étages entiers dans des immeubles de luxe, en croyant que les prix de l’immobilier allaient continuer à monter sans fin, ce qui n’est bien entendu jamais le cas.
Un appartement à Dubaï est passée en moyenne dix fois dans des mains différentes avant d’être habitée, pour autant qu’elle l’ait jamais été. Les prix de l’immobilier ont été multipliés par quatre entre 2002 et 2008, dans un environnement de boom sans précédent.
Le problème est que même au plus haut de la bulle, environ 25% des bureaux étaient vides, sans parler du marché de l’immobilier résidentiel, où le taux de vacances était encore plus important.
En fait, déjà en février dernier, Dubaï était au bord de la faillite et seul un prêt de la voisine Abou Dhabi, très riche en pétrole, lui a permis de rester à flot. Il est à envisager qu’Abou Dhabi continuera à mettre la main au porte-monnaie pour empêcher une faillite qui lui serait très préjudiciable, mais elle mettra sans doute des conditions à son aide qui ramèneront Dubaï à la raison et freineront ses ambitions dépensières boulimiques.
Pour les marchés financiers internationaux, au-delà du choc ponctuel et de pertes sommes toutes limitées, certainement en regard de ce dont nous nous sommes habitués depuis l’automne 2008, il ne devrait pas y avoir de conséquences de long terme. Dans cette perspective, il faut en profiter pour racheter les avoirs ayant baissé lors des deux derniers jours et vendre ceux ayant monté, au premier rang desquels l’USD. En revanche, pour les banques du Golfe, on ne peut exclure un choc plus important, bien que le coussin de sécurité pétrolifère empêche a priori le développement d’une large crise systémique.