Interview exclusive de note Rédacteur en chef, Christopher Dembik, sur les conséquences de la dégradation de la note souveraine de neuf pays européens par S&P et les choix faits par l’Europe au cours des derniers mois.
Quel est votre sentiment après la dégradation de S&P?
Premièrement, il convient de noter que les marchés ont plutôt bien réagi et cela nous rappelle plus ou moins la réaction des marchés lors de la perte du triple “A” par les Etats-Unis et le Japon. Le triple “A” est évidemment un atout pour un pays mais il ne faut pas exagérer la portée de cette note. Des pays comme le Brésil ou encore l’Argentine s’en sortent plutôt bien avec des notes très loin de ce fameux triple “A”.
Deuxièmement, il faut convenir que les agences nous avaient prévenu de longue date. En cela, la décision de S&P ne fut en aucune façon une surprise, quand bien même elle est intervenue à un moment inopportun comme l’ont fait remarquer de nombreux responsables politiques. Le fait que ce mouvement de l’agence était déjà intégré par les marchés a évité, vraisemblablement, une forte dégringolade des actifs financiers suite à cette nouvelle.
Partagez-vous l’opinion de S&P selon laquelle les européens ont pour le moment pris les mauvaises décisions?
Sans l’ombre d’un doute. S&P a totalement raison de soutenir que le déficit ne doit pas être la principale priorité des gouvernements européens, surtout des gouvernements des pays périphériques qui sont déjà au bord du gouffre. En s’orientant, à Paris, à Rome, ou à Athènes, vers un durcissement fiscal, cela va conduire à une croissance encore plus faible, sachant que la zone euro ne devrait pas éviter la récession cette année, et, au final, à des déficits plus importants. L’Europe a fait l’erreur de l’austérité selon moi.
La position allemande, partagée par la France, qui vise à s’attaquer uniquement au déficit est clairement un errement aux conséquences gravissimes. Ca peut être un bon choix pour l’Allemagne, qui a une économie encore forte et compétitive, mais pas pour d’autres pays, et surtout pas pour la France. Oui à l’austérité, tant qu’elle est mesurée, et qu’elle s’accompagne de réelles mesures pour relancer la croissance (cf:”Austérite: il n’y aura pas de croissance sans innovation“, Le Nouvel Observateur, 07/11/2011)
Comment aboutir à une relance de la croissance dans la zone euro?
C’est simple, il s’agit de s’attaquer à la compétitivité, et en ne regardant pas qu’à travers le prisme fiscal. Des pays comme la Grèce ou le Portugal ne sont pas compétitifs face à l’Allemagne alors imaginez face au Brésil ou même à la Corée du Sud!
Pour restaurer ou améliorer la compétitivité des pays européens, cela passe par deux niveaux: le niveau national, le niveau européen via des concertations lors des Sommets mais surtout via une action de la BCE. Sur ce domaine, la BCE a aussi son rôle à jouer en continuant sa politique d’assouplissement, lancée par Mario Draghi. Les rachats de dettes sont une chose mais les baisses de taux en sont une autre et vont permettre de relancer la machine économique. Une fois que la relance sera amorcée, ce sera aux politiques d’agir en prenant les mesures nécessaires, au niveau législatif, pour que la compétitivité soit désormais partie intégrante de la construction européenne.
C’est évidemment un défi énorme mais qui est surmontable si les Européens comprennent enfin les enjeux du monde actuel. La lutte contre les déficits est une priorité, qui ne peut être entreprise qu’en période de croissance. L’austérité n’a jamais donné les résultats escomptés.