La théorie des marchés financiers voudrait que ces derniers soient “parfaits”, c’est-à-dire que l’ensemble des investisseurs agissent de façon rationnelle en fondant leurs choix sur les informations à leur disposition. La valeur boursière d’une entreprise devrait selon cette théorie refléter la valeur réelle de l’entreprise. Toutefois, de nombreux paramètres entrent en compte sur les marchés financiers, et force est de constater qu’ils ne sont pas tous rationnels.
Un marché imparfait dont les valorisations ne représentent pas forcément la réalité économique
L’échec des fonds dont la stratégie consistait à miser sur la correction des imperfections de valorisation repérées est une preuve parmi tant d’autres de l’irrationalité des marchés financiers. Hersh Shefrin dans Beyond greed and fear prend ainsi l’exemple du Long Term Capital Investment (LTCM) fondé par de grands noms de la finance comme les Prix Nobel Myron Scholes et Robert Merton. Lorsque les cours de Royal Dutch Petroleum et Shell Transport, qui se partageaient les cash-flows de Royal Dutch Shell à hauteur respective de 60% et 40%, ont commencé à s’éloigner de leurs valeurs théoriques, LTCM a misé sur la réduction rapide de cet écart. Or, contre toute attente rationnelle, l’écart n’a cessé de se creuser.
Ne pas prêter attention à la dimension psychologique des marchés peut constituer une grave erreur, et il ne faut jamais oublier que les marchés peuvent rester irrationnels bien plus longtemps que nous ne pouvons rester solvables!
A l’origine de nos décisions de trading se trouvent des mécanismes psychologiques complexes
Intuition défaillante des probabilités, mouvements d’euphorie ou de panique, mécanismes psychologiques d’ancrage ou difficulté à remettre en cause ses croyances sont quelques uns des nombreux mécanismes psychologiques qui conduisent les acteurs économiques à agir de façon irrationnelle, et ce quelle que soit leur importance.
La première source d’écart entre la théorie et la valorisation réelle tient au processus de décision des investisseurs. En effet, aucun investisseur ne peut tenir compte de la totalité des informations disponibles pour prendre ses décisions. Il est nécessaire de procéder à des choix et de sélectionner certaines informations parmi d’autres. Pour Herbert Simon, “une décision rationnelle est une décision impossible”, nos émotions interfèrent de façon constante sur les choix de notre raison. Cette “rationalité limitée” nous conduit donc à des décisions imparfaites.
La deuxième source d’erreur, et sans doute la plus fréquente, est la mauvaise intuition des lois de probabilité. Un exemple célèbre est celui de l’Illusion du Joueur, lorsqu’une pièce de monnaie est lancée 5 fois consécutivement, et que l’on obtient 5 “face”, la plupart des individus a le sentiment qu’il sera plus probable d’obtenir un “pile” au lancer suivant. Or la probabilité sera toujours égale à 0.5! Il en va de même lorsqu’un marché connait une période durable de hausse au-dessus de sa moyenne historique, la plupart des analystes envisage alors une chute du marché en dessous de sa moyenne. Or, il est plus vraisemblable que le cours se rapproche de sa moyenne! Une analyse des prédictions de l’évolution du Dow Jones reprenant les prévisions des analystes depuis 1952 montre qu’après 3 années de hausse les analystes ont tendance à être excessivement optimiste alors que l’inverse se produit après 3 années de chute! Or, lorsque la totalité des fonds ont été investis, que le potentiel d’acheteurs a atteint sont maximum, il ne reste plus de capitaux pour alimenter la hausse, et c’est alors que se produit le retournement de marché.
Une autre cause d’erreur est la tendance des investisseurs à se conforter dans leurs opinions et leurs croyances alors même qu’elles sont contredites par la réalité. Il est dans la nature de l’homme d’accorder plus d’importance aux évènements qui viennent confirmer le scénario envisagé qu’à ceux qui pourraient l’infirmer. L’excès de confiance en soi entraine une négligence des risques et pousse beaucoup d’investisseurs à accorder un crédit trop important à leurs analyses.
Enfin, pour citer un mécanisme psychologique de plus parmi tant d’autres, l’ancrage est également un phénomène très répandu. Confronté à de nouvelles données sur une situation, l’investisseur aura tendance à accorder plus d’importance aux informations antérieures sur lesquelles il avait fondé son jugement initial. De même, la forme sous laquelle lui sera présentée l’information constitue également un facteur de prise de décision. Deux facteurs entrent alors en compte : la gestion des attentes des investisseurs et l’ajustement des résultats aux attentes. Le positionnement des résultats par rapport au consensus ou par rapport au résultat de l’exercice précédent constitue ainsi un élément primordial pour l’évolution du cours. Les dirigeants d’entreprise ont donc tendance à “en mettre de coté” lorsqu’un résultat dépasse les attentes afin de conserver une marge de manoeuvre lors des prochains résultats.
La gestion des émotions
Les individus détestent perdre. L’impact émotionnel d’une perte est près de 2.5 fois supérieur à celui d’un gain, cette aversion à la perte induit un biais irrationnel dans la prise de décision. L’investisseur ou le trader aura donc tendance à laisser courir ses pertes dans l’espoir qu’elles se transforment en gain et à prendre rapidemment ses bénéfices de peur qu’ils ne s’envolent selon l’adage “un tiens vaut mieux que deux tu l’auras” qui n’a rien de rationnel!
Des recommandations intéressées
Il faut aussi prendre en compte le comportement de ceux qui diffusent les informations, les biais psychologiques des investisseurs ne suffisent pas. Si l’on prend l’exemple des analystes, ces derniers fondent leur réputation sur la qualité de leurs analyses, nous pourrions donc penser qu’ils sont totalement objectifs. Or, il est fréquent que ces derniers soient à la fois juge et partie.
De même, lorsqu’une banque prend en charge l’introduction en bourse d’une entreprise ou l’émission de nouveaux titres sur les marchés, la banque a tout intérêt pour des raisons d’image et de satisfaction de ses clients à ce que le cours des nouveaux titres évoluent favorablement. Les recommandations et analyses des banques chargées de l’introduction ou de l’émission des titres auront donc tendance à être plus optimistes que celles de leurs confrères, à défaut d’être rationnelles. Peut-être cela vous rappellera-t-il la récente introduction en bourse d’un réseau social, exemple plus qu’intéressant lorsque l’on aborde la rationalité des marchés financiers…
Les tenants de la théorie de la perfection des marchés doivent se rendre à l’évidence: de nombreux phénomènes comportementaux conduisent les cours des marchés à s’écarter de leur valeur économique fondamentale.